La nouvelle saison artistique du Manège Maubeuge est ouverte. Une saison singulière. Singulière, alors que l’époque s’accélère, que les enjeux économiques, sociaux, environnementaux, géopolitiques ou énergétiques s’imposent à chacune. Singulière, car cette saison sera hors-les-murs et que les travaux de rénovation débutent. Édito.
L’édito
de Géraud Didier
Sic parvis magna
(Les grandes choses naissent de petits commencements).
L’important est souvent dans la vie d’y croire sans renoncer, de poursuivre l’aventure, de ne pas lâcher l’affaire. Ce sont les interruptions brutales qui sont tristes. Triste aussi est le sentiment de fatigue, quand il vient alors en justification du geste d’abandonner. Même si les difficultés existentielles, comme le coût de la vie, tragiquement augmentent, les artistes ne sont pas tristes. Et les directions de structures culturelles, malgré les épreuves, ne sont pas fatiguées. Pas encore...
En art comme pour soi-même, il faut pratiquer l’effort, faire l’exercice. Cultiver les originalités, montrer les singularités, cela suppose de l’application et du courage. Le courage d’oser la proposition, de risquer la confrontation, de jeter le pas en avant. Le courage – aurait dit Louise de Vilmorin – « de comprendre l’honnêteté qu’il y a dans le fait de se compromettre ». Dès lors au Manège de Maubeuge, « programmer » n’est pas une fonction parmi d’autres dans la panoplie du rôle de directeur. Dans l’ordre des devoirs qui obligent, c’est une attention, un travail, une mission. C’est un sport de contact aussi, voire de combat, où la crainte d’avoir peur est déjà la première des défaites.
Certes, pour mener ainsi bataille, l’argent est utile ! Et les moyens comptent. En règle générale, il en faut pour assumer de vivre. Pour se nourrir, pour s’abriter, pour bouger et s’élever... De même, il en faut pour faire exister des théâtres, des médiathèques ou des musées. Mais l’argent n’a pas d’idées. Jamais l’argent n’a des idées, car l’argent ne sait ni voir ni sentir ce qui est bon ou ce qui est vrai. N’ayant pas de visage, il ne permet pas de comprendre un monde juste, ni de relier les temporalités, ni de tramer le fil des histoires. C’est l’art qui tient ce rôle, quand l’art n’est pas pris pour ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire quand il n’est pas vécu comme un objet de divertissement ou de consommation culturelle. Toujours la qualité de l’engagement a plus de tranchant que l’argent. À la guerre comme à la scène.
Sans l’art de tisser des relations, que sommes-nous ?
Ne pas se comprendre offre une opportunité de se connaître mieux. On a beau faire pour éviter la rencontre, éviter ce qui est autre, inconnu ou différent ; on a beau tout faire ou presque pour se soustraire, on est des existences additionnées. Tant que le souffle intérieur y est et que le muscle travaille, chacun, chacune, reste la somme des expériences qu’il ou elle a su réaliser. Sans l’art de tisser des relations, sans l’effort constant de faire lecture du monde, que sommes- nous ? Et que serions-nous demain, sans la capacité de donner de la mémoire aux choses, plus particulièrement encore quand le bon sens lui-même fout le camp au point de poser la question de notre propre habitabilité encore possible ? Cette saison nouvelle vous offre donc de dialoguer avec des créateurs et des créatrices, restés en désir d’exister comme de questionner nos horizons.
Ils et elles sont françaises, belges, suisses, néerlandaises, allemandes, italiennes, argentines, brésiliennes, indiennes, chinoises ou taiwanaises... Ici là, au Manège, c’est cette diversité qui est à l’œuvre. Ici là, dans la réalité des architectures de la ville, un Manège passe pour rendre possible un autre Manège. Voilà qui est beau !
L’art, c’est l’enfance, voilà.
L’art, c’est ne pas savoir que le monde existe déjà,
et en faire un. Non pas détruire ce qu’on trouve, mais simplement ne rien trouver d’achevé. Rien que des possibilités. Rien que des désirs. Et tout d’un coup être accomplissement, être un été, avoir du soleil. Sans en parler, involontairement. Ne jamais parfaire. Ne jamais avoir de septième jour. Ne jamais voir que tout cela est bon.
L’insatisfaction est la jeunesse.
Dieu était trop vieux au commencement, je crois. Sans quoi il ne se serait pas arrêté au soir du sixième jour. Ni le millième jour. Ni encore aujourd’hui.
C’est tout ce que j’ai contre lui. Qu’il ait pu s’épuiser totalement. Qu’il ait estimé que son livre était fini avec l’homme, qu’il ait posé sa plume en attendant de voir combien il y aurait d’éditions.
Ce n’était pas un artiste : voilà ce qui est triste.
Rainer Maria Rilke